Grace, ou à cause, des super-héros, le public devient de plus en plus à l’aise avec le principe du multivers. Nouvelle parade scénaristique, qui contourne et détourne les trous et incohérences narratives avec facilité, poussant même certaines productions dans une forme de paresse créative. Entre de bonnes mains, ce passe-partout narratif permet de mettre sur pied les histoires les plus invraisemblables et de leur insuffler une authenticité et une dimension épique hors du commun, dans un déluge d’effets visuels fous entrecoupés de moments dramatique intenses.
Dan Kwan et Daniel Scheinert ont bel et bien réussis un tour de force avec ce film mêlant action, science-fiction, comédie et drame, tout en gardant un pied fortement ancré dans le réel, les deux réalisateurs nous poussent dans un tour de grand huit bluffant. Une imagerie décalée mais tellement en accord avec le sujet qu’elle en devient harmonieuse et le grotesque s’harmonise au sublime en un battement de cils.
Loin des codes et standards des films de super-héros, on est ici dans un récit profondément humain et dramatique au coeur d’une famille dysfonctionnelle auquel se greffe assez soudainement l’existence du multivers. Un multivers au fonctionnement bien défini et expliqué de manière à accepter toutes les situations qui se présentent aussi loufoques soient-elles.
La réalisation est maitrisée et jongle allègrement tout le long du métrage entre différents styles, rythmes et structures narratives. Le casting est totalement investi et mené par une Michelle Yeoh plus spectaculaire que jamais, aussi à l’aise en mère de famille dépassée qu’en maitresse des arts martiaux. Ke Huy Quan, plutôt discret dans sa filmographie depuis Demie-Lune Indiana Jones et Data dans les Goonies, revient ici dans un rôle à sa mesure qui lui permet de montrer l’étendue de son jeu d’acteur en un seul film. Jamie Lee Curtis comme on ne la jamais vue, alternant diverses personnalités avec une aisance et un impact à l’écran sensationnel, un vrai bonheur de la voir s’éclater autant.
Outre son aspect visuel époustouflant, le récit est avant tout humain et pointe du doigt les dérives carriéristes et les envies de réussites qui nuisent à l’épanouissement familial en général et filial en particulier. Sans pour autant dériver sur une morale ronflante, le film nous emmènent intelligemment là ou il veut sans même qu’on s’y attende. Tout cela sans oublier l’importance du « donuts » dans la vie de chacun, ou même de considérer les choses du point de vue d’une pierre.
En brouillant les pistes narratives avec le multivers, les réalisateurs auraient pu se perdre et obtenir un résultat incohérent et brouillon, mais il n’en est rien. Du récit au montage, en passant par la direction d’acteurs, ils nous offrent une petite pépite de SF que l’on attendait pas et qui fait un bien fou. Dépoussiérant les standards vieillissants d’Hollywood et ses blockbusters au cahier des charges bien rempli, le film montre avec force que le cinéma n’a pas fini de nous étonner, surtout quand ce dernier sort de sa zone de confort et s’offre une symphonie multiverselle encore jamais vue à ce jour. Un film hybride réussi, qui rappelle par certains aspect H2G2: le guide du voyageur galactique, et ,dans une moindre mesure, The Cell.