NB : Ce dossier est complémentaire à notre première analyse d’Elysium, retrouvable ici !
En 2013, deux ans après l’énorme succès artistique de District 9, film de SF profondément réaliste avec une empreinte technique et photographique inédite, émerge alors un talentueux cinéaste Américain : Neill Blomkamp. Projeté au zénith après ce premier succès, Blomkamp a les coudées franches et surtout le soutien financier de plusieurs boîtes de production (à hauteur de 120 millions au total) que sont AlphaCore et Media Rights Capital, pour lancer un nouveau film : Elysium. Ajoutez à cela la présence de grands noms au casting (Diego Luna, le nouveau Cassian Andor, Matt Damon ou encore le fan des projets loufoques, Shartlo Copley) et vous obtenez un film qui transporte Neill Blomkamp dans la cour des grands, à savoir le grand Hollywood. Malgré toutes ces promesses, le film n’a pas enchanté le box-office, récoltant 65% d’avis positifs sur Rotten Tomatoes et encaissant seulement 280 millions de dollars de recettes.
Le long-métrage n’a pas non plus laissé un impérissable souvenir à son acteur central (Matt Damon). Ce dernier, interrogé au sujet des conditions difficiles de tournage (les scènes sur Terre ont été tournées en partie dans la décharge de Bordo Poniente, au Mexique, qui pouvait dégager des fumées composées à 75% de matière fécale), voici ce qui avait précédemment été déclaré par l’acteur derrière la franchise Jason Bourne ou récemment aperçu dans Downsizing et Le Mans 66 :
« Au final, j’ai l’impression que l’histoire n’était pas la bonne. La dimension satirique de cet anneau dans le ciel, peuplé de riches, planant au-dessus d’une terre appauvrie, est géniale. Je l’aime vraiment, tellement que j’ai presque envie d’y retourner pour le refaire correctement. Mais le scénario n’était simplement pas… Je n’ai tout bonnement pas fait un film assez bon. J’ai réalisé tout ce que j’avais à réaliser, les costumes, les décors et les effets spéciaux étaient bons. Mais en fin de compte, tout reposait sur des fondations incomplètes, parce que le script n’était pas à la hauteur, l’histoire était inachevée. »
Rappelons qu’Elysium raconte l’histoire d’un monde clairement dystopique où, en 2154, la civilisation humaine s’est divisée en deux sociétés bien distinctes. Les riches vivent sur Elysium, une station spatiale à l’abri des maladies et de la criminalité tandis que les pauvres vivent sur une Terre ravagée par le climat, la surpopulation et le manque de ressources. Max, un individu lambda condamné par une exposition à des radiations, va tenter de rejoindre la station et restaurer l’équilibre entre les deux mondes.
Force est de constater que le film de Blomkamp avait un pitch intéressant, combiné à une façon d’inscrire la SF dans le réel que seul le cinéaste Sud-Africain sait maîtriser. Mais le film a déçu, une faute qui doit uniquement être imputée au scénario.
Elysium est un brillant miroir du gouffre qui se dessine entre les classes sociales d’aujourd’hui, et pourrait très bien s’inscrire comme la prédiction de demain. Tout est retranscrit de façon intelligente par Blomkamp mais de façon bien trop rapide pour qu’on prenne le temps d’apprécier chaque détails du monde qu’il essaie de mettre en place. Dans l’introduction déjà, le problème se présente vite, des « migrants » tentent de pénétrer dans l’espace aérien d’Elysium sans y avoir été autorisés. Ils sont de suite abattus. Difficile de ne pas y avoir une connexion avec ce qui se passe pour ces mêmes personnes aujourd’hui. Ensuite, les « pauvres » du monde d’Elysium sont, somme toute, les plus représentatifs d’un futur hypothétique qui a des chances d’être réels. Les quartiers Américains ressemblent à d’immenses bidonvilles que l’on peut trouver dans les banlieues Brésiliennes ou Mexicaines.
Blomkamp a d’autant plus choisi de montrer que même dans un cas de « division » des classes sociales en deux parties, celle qui est mathématiquement plus forte que l’autre (Les riches) continue d’exercer une puissance psychologique sur les plus faibles (les pauvres). Le long-métrage nous introduisant, en effet, Armadyne, une entreprise d’armes pilotée par John Carlyle (William Fichtner) qui est sous tutelle d’Elysium (car elle produit des robots garantissant la sécurité sur Terre) et qui embauche des pauvres. Un autre « méfait » actuel est directement mis à nu par le film (à savoir l’indifférence des grands patrons pour les petits employés) puisque Carlyle ne semble pas accorder la moindre empathie ou la moindre importance pour Max, après que celui-ci ait été « hospitalisé » pour son exposition aux radiations.
Elysium est donc rempli de références à des thématiques sociétales actuelles, qui peuvent prendre la forme proposée dans le futur. Si des robots directement commandités par des entreprises sous tutelle des riches font régner la loi et l’ordre sur Terre, il y a aussi des groupes de milices dissidents, des sortes de mafieux d’un autre monde, notamment mené par l’agent Kruger (Shartlo Copley). Une façon de plus de décrire et de souligner que les affres de ce mondes peuvent conduire à des dérives violentes, symbolisées entre autre par ce mercenaire sanguinaire qui n’obéit à aucune règle.
Parce que c’est aussi un point fort d’Elysium : La capacité de montrer que cette Terre dystopique n’a plus de gouvernement, de démocraties, ou même de chef d’état. L’ordre et la souveraineté provient de la station spatiale. Plus qu’une séparation de classes, Elysium montre que l’une d’elles sera profondément assujettie à l’autre. En soi, toute l’ouverture du film est parfaitement réussie, et jusqu’à l’attaque de l’avion de Carlyle par Max et ses alliés, on assiste à un film véritablement novateur sur beaucoup de points. Mais après cela, on tombe dans une volonté d’accélérer à tout prix le rythme du film et de densifier la violence. On perd donc la saveur du film de SF sociétal prévu à l’origine pour tomber dans le Blockbuster décérébré mais Blomkamp ne perd jamais de vue ses idéaux. Il aurait malgré tout fallu que ce dernier se concentre plus sur la le fonctionnement d’Elysium que le coup d’état de l’agent Kruger.
Le film est donc largement sous-estimé, par tout son traitement des thèmes politiques et de société, et sa projection cohérente de notre monde de demain, Elysium est un film malade par son scénario à deux vitesses, mais qui reste profondément important par rapport à tout ce qui y est niché en toile de fond.