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Analyses

Le film Steve Jobs (2015) de Danny Boyle et Aaron Sorkin déforme-t-il la réalité ?

Sorti en 2015 sur nos écrans, le long-métrage autour du visionnaire Steve Jobs, le créateur d’Apple, avait passionné les spectateurs. Produit pour 30 millions de dollars, le film n’avait pas spécialement rencontré le succès, encaissant seulement 34 millions de recettes mais s’en est tiré avec des critiques majoritairement positives (85% d’avis positifs sur l’agrégateur de critiques Rotten Tomatoes contre seulement 28% pour le ratage de 2013, à l’époque réalisé par Joshua Michael Stern). Le film de 2015 est écrit par le très talentueux Aaron Sorkin, responsable du scénario léché du film « The Social Network » de David Fincher et réalisé par Danny Boyle, qui avait jusqu’ici une riche filmographie à son actif (Trainspotting, Slumdog Millionnaire, 127 heures…)

En plus d’avoir été un succès critique unanime, le long-métrage aura obtenu le Golden Globe 2016 du meilleur scénario pour Sorkin et de la meilleur actrice dans un second rôle pour Kate Winslet. Michael Fassbender, l’interprète de Steve Jobs, aura été nominé aux Oscars de la même année ainsi qu’aux Screen Actors Guild Awards. Au niveau des Oscars, il aura malheureusement fini derrière la performance organique de Leonardo Dicaprio pour The Revenant. 

Steve Jobs retranscrit la vie du célèbre créateur d’Apple uniquement par le biais de trois grands moments d’introductions de produits phares de la firme : Le Macintosh 128K (1984), le NeXT Computer (1988) et l’IMac (1998). Derrière ces grandes étapes s’échelonnent tout un pan narratif développant la personnalité de Steve Jobs ainsi que sa relation avec des personnes qui auront marqué sa vie (Joanna Hoffman, Steve Wozniak, Chrisann Brennan ou encore John Sculley). 

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Le scénario d’Aaron Sorkin a su se démarquer en prenant clairement à contre-pied les structures narratives classiques. Puisque ces trois grandes étapes dans la vie de Jobs arborent une véritable continuité dans son histoire. Le Macintosh 128K fut le premier ordinateur personnel de la famille des Macintosh (IMac, les Macbook…) à sortir chez Apple

Concernant le NeXT, il s’agit là d’une étape clef de la vie de Steve Jobs. Après avoir quitté Apple en Septembre 1985 (qu’il a cofondé) en raison de conflits apparents avec John Sculley (tandis que le film montre que c’est Sculley et le C.A d’Apple qui vire Jobs – mais ce, pour des raisons dramaturgiques – puisque la scène iconique entre Sculley et Jobs lors de la présentation du NeXT est le point d’orgue du film), il fonde NeXT. Cette nouvelle entreprise s’oriente déjà vers la création d’ordinateurs avant de se réorienter, en 1993, sur la programmation unique de logiciels. NeXT Computer devient alors NeXT Software. Le système d’exploitation pensé pour le NeXT intéresse fortement Apple pour ses Macintosh et l’entreprise rachète NeXT pour 429 millions de dollars en 1996. Jobs se retrouve donc à nouveau propulsé à la tête de son entreprise et place les personnes clefs du projet NeXT à la tête d’Apple. 

C’est sur un nouveau système d’exploitation, le Mac OS X, que Apple travaille, sachant que les travaux du Mac OS X découlent de ceux du système NeXTSTEP (qui s’est respectivement transformé sous l’ère NeXT en OPENSTEP (version 4) puis, sous Apple, en Rhapsody (version 5) et enfin en Mac OS X). Cette période a engendré des conflits tendus entre Sculley et Jobs, mais ce dernier aura, au final, gagné son bras de fer à distance avec Apple

Lors de son retour chez Apple, il supervise l’IMac G3, premier ordinateur tout en un et dernière grande présentation qui apparaît dans le film écrit par Aaron Sorkin.

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Le parti-pris d’Aaron Sorkin est d’une saisissante audace, pourtant, le long-métrage n’a pas fait l’unanimité auprès de certains spécialistes de Steve Jobs. Il convient de ne pas comparer le travail réalisé par Aaron Sorkin avec celui du biographe Walter Isaackson (responsable du livre « Jobs » retraçant tout le parcours du créateur) puisque Sorkin a pour mission de tout condenser en un seul long-métrage, pour réussir à ressortir quelques grandes étapes de la vie de Jobs tout en arborant en arrière-plan de quoi fonder une ligne narrative linéaire, sans partir dans tous les sens. 

C’est notamment pour cela que son parcours en tant que producteur de cinéma (1986-2006) où il avait acheté la division Graphics Group de Lucasfilm (ensuite devenu Pixar Animation Studios) n’est pas abordé, bien que cette partie de sa vie soit particulièrement intéressante. Tout un passage de la biographie de Steve Jobs raconte les premiers temps où celui-ci travaillait avec Pixar. Accordant une confiance aveugle en John Lasseter (qui aura réalisé l’énorme succès de Toy Story en 1995), la biographie raconte le lien entre les deux hommes au moment où Lasseter aura réalisé le court-métrage Tin Toy :

Le film en question se déroule dans une pièce ou  e trouvent un petit jouet (un homme-orchestre en fer-blanc) et un bébé. Dans un premier temps le petit jouet se réjouit à la perspective de divertir le bébé jusqu’à ce qu’il assiste au traitement cruel subi par d’autres jouets. Fuyant alors sous le canapé, le petit jouet découvre des dizaines d’autres jouets qui sont terrifiés à l’idée de sortir.

Directement à l’origine de l’arrivée de Toy Story sept ans plus tard, le petit film remporte l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation en 1989. Une success-story capitale dans l’importance que Jobs a pu avoir dans l’industrie cinématographique que se charge de rapporter Walter Isaackson dans son ouvrage : 

« Au printemps 1988, l’état financier de la société était devenu si critique que Jobs organisa une réunion extraordinaire avec les chefs de département pour procéder à des coupes drastiques. À la fin, lorsque les réductions de budget furent décidées, Lasseter et son équipe se voyaient mal solliciter une rallonge pour la réalisation d’un nouveau film. Mais ils trouvèrent quand même le courage d’aborder le sujet. Il fallait que le patron sorte trois cent mille dollars de sa poche. Jobs les regarda d’un air froid et dubitatif ; le moment s’éternisa. Puis après un long silence, il demanda s’il y avait un storyboard. Catmull l’entraîna alors dans les locaux de l’équipe où Lasseter commença son show ; il présenta la succession de dessins, joua les personnages, montra un tel enthousiasme pour ce nouveau projet que Jobs fut conquis. […] Jobs accepta encore une fois de payer. « Je croyais en ce que faisait John, dirat-il plus tard. C’était de l’art. C’était important pour lui, et ça l’était pour moi. Je lui ai toujours dit oui. » Son seul commentaire à la fin de la présentation de Lasseter, ce fut : « Tout ce que je te demande, John, c’est de faire un grand film. » Tin Toy gagna l’Oscar en 1988 pour le meilleur court-métrage d’animation. C’était la première fois qu’un film entièrement conçu par ordinateur décrochait cette récompense. Pour fêter l’événement, Jobs emmena Lasseter et son équipe dîner au Greens, un restaurant végétarien de San Francisco. Lasseter saisit l’Oscar qui trônait au milieu de la table, le souleva et porta un toast à Jobs en disant : « Tout ce que tu as exigé, c’était qu’on fasse un grand film ! » »

Aaron Sorkin l’avait pourtant assuré, le film n’était pas un biopic sur Steve Jobs, mais bien une adaptation transversale des conflits que pouvaient engendrer les lancements du Macintosh 128K, du NeXT et de l’IMac, de façon réfléchie et pensée pour le cinéma comme celui-ci l’avait annoncé lors d’une interview : 

« C’est quand je suis tombé sur une infor­ma­tion rela­ti­ve­ment anodine – qui était que pendant les répé­ti­tions pour la sortie du Mac en 1984, ils n’ar­ri­vaient pas à lui faire dire bonjour et se sont déme­nés pour tenter de résoudre le problème – que j’ai eu l’idée. Je dois cher­cher une inten­tion et un obstacle. Et si je faisais de ça l’in­ten­tion et l’obs­tacle du premier acte ? Et si je commençais par accro­cher les choses qui m’in­té­ressent vrai­ment, ces points de fric­tion qui irriguent la vie de Steve ? Je commence à les accro­cher, comme sur une corde à linge, tout au long du premier acte, et il faut que je fasse de même avec le deuxième et le troi­sième actes. Évidem­ment, Steve n’a pas eu de conflits avec les cinq mêmes personnes 40 minutes avant chaque lance­ment de produit qu’il a fait. C’est tout simple­ment un conflit d’au­teur. Mais ce que contiennent ces conflits est bien réel. »

Les choix artistiques dépendent donc grandement de la façon de construire la dramaturgie du récit. Sorkin ne trahit pas Jobs, mais réadapte ces conflits réels en quelque chose de solide à l’écran. Steve Jobs n’est pas un biopic, et, par cette déclaration, Sorkin critique tout ceux qui annoncent que le film déforme la réalité puisque, dans un sens, c’est le cas (et il ne s’en cache pas) :

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« Et le but n’a jamais été de vous donner tous les détails de la vie de Steve. Le premier indice – parce que je tiens à m’as­su­rer que le public ne le pren­dra pas pour autre chose –, c’est que nous n’avons même pas essayé de faire en sorte que Michael Fass­ben­der imite Steve Jobs physique­ment, de quelque manière que ce soit. Il ne ressemble pas à Steve Jobs, et nous ne lui avons pas demandé de parler comme lui. Il y a bien une blague à propos de « insa­nely great » mais je n’ai pas repris le moindre des tics de Jobs. Ce n’est simple­ment pas ce genre de film. Il faudrait ajou­ter ça à toutes les inter­views que j’ai faites ces derniers mois, j’ai dit à toute personne qui restait atten­tive pendant assez long­temps à mes propos qu’il ne s’agit pas d’un biopic, c’est autre chose. »

Dans la même interview, Aaron Sorkin a notamment ouvertement déclaré que des éléments clefs de la vie Jobs, et notamment sa gestion de Pixar, avaient été passés sous silence parce que l’objectif n’était clairement pas de raconter purement et simplement l’histoire du créateur d’Apple.

Ces propos ont notamment fait suite à des critiques sur la véracité des événements, notamment rapportés par un journaliste spécialiste des nouvelles technologies, Daniel Ichbiah.

Steve Jobs (Michael Fassbender) et Lisa Brennan-Jobs (Makenzie Moss) dans le film de Danny Boyle

Il a particulièrement critiqué l’apparence de Michael Fassbender en Steve Jobs notamment lors de la présentation de l‘IMac dans le dernier tiers du long-métrage. Selon lui, son apparence à ce moment-là ne correspondait pas à la réalité, tout comme le choix de mettre dans le rôle de John Sculley, l’acteur Jeff Daniels. Il critique aussi le côté virulent de Jobs envers les autres, notamment au moment de la présentation du NeXT et de sa confrontation avec John Sculley assurant qu’il était l’opposé de tout cela. Ichbiah reproche aussi que le film ait pu passer sous silence tout le pèlerinage introspectif de Steve en Inde lorsque ce dernier avait 20 ans. 

En soi, tout ce que Ichbiah reproche au film de Danny Boyle, Aaron Sorkin l’a convenablement justifié. Ce n’est pas un biopic, mais un film centré sur la présentation de ces différents produits. Sorkin a adapté ces différents moments pour que cela se tienne sur la durée d’un long-métrage, avec une cohérence scénaristique et visuelle du début à la fin. Des tensions entre Steve Jobs et John Sculley lors de la présentation du NeXT, par exemple, il y en a eu. Mais tout est évidemment un peu plus romancé pour que le film soit direct, impactant et marquant. Basé sur des témoignages, Steve Jobs n’évite pas certains écueils et quelques erreurs (notamment sur la relation entre Lisa et Steve), mais parvient malgré tout un délivrer un puissant parti-pris sur ce géant de la technologie, dont ce portrait cinématographique est d’une grande prouesse, à l’opposé d’un film à charge contre sa personne. Danny Boyle a probablement réussi son plus grand film et Aaron Sorkin, son plus grand scénario. 

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