Comédien de doublage renommé en tant que voix Française officielle de Morgan Freeman, Benoît Allemane a aussi effectué des doublages notables dans des séries télévisées, des jeux vidéos mais aussi des publicités. Comédien de théâtre accompli, nous avons pu interviewer Benoît Allemane sur son parcours, ses débuts en tant que doubleur de Morgan Freeman mais aussi sur son actualité.
L’équipe Geeks Lands remercie chaleureusement Benoît Allemane pour nous avoir accordé de son temps.
Geeks Lands : Pouvez-vous nous raconter votre parcours avant le doublage ?
Benoît Allemane : J’ai commencé le théâtre en amateur quand j’avais 16 ans. Lorsque j’avais 17 ans je suis entré à l’école nationale du théâtre de Strasbourg, j’ai fais 3 années d’études là-bas puis je suis monté sur Paris. A partir de là c’était tout le travail d’un comédien qui ne connaît pas la capitale et qui ne connaît pas le fonctionnement de la profession qui se mettait en place. C’est-à-dire que je connaissais très peu les gens du métier, je voyais de temps en temps des spectacles qui passaient en province mais le fonctionnement même de comment se lancer dans le métier était problématique. Petit-à-petit on rencontre des gens du milieu puis les tournées et les engagements arrivent. C’est donc surtout par le théâtre que ça a commencé. Je suis allé frapper aux portes pour du doublage en 1965 et là j’ai été pris de panique car j’y voyais déjà la présence de comédiens de doublage formidables. Je me suis dis que jamais je n’allais y arriver. Je me suis dis que j’étais pas assez mûr, que je n’avais ni le métier ni la technique. J’étais un peu effrayé. Ce qui fait que des années 65-66 jusqu’aux années 75 je n’ai pas mis les pieds dans un studio pour démarcher […] Dans notre métier on a un éventail d’activités énormes. On peut faire du théâtre, du cinéma, du doublage, de la radio, de la pub, du cirque… Avant tout on est des comédiens et pour moi être comédien c’est faire du théâtre au départ. On travaille des personnages que l’on retrouve mathématiquement quand on fait du doublage. On s’imprègne de la personnalité d’un personnage, qu’il soit joué par Morgan Freeman ou un autre. On essaie de comprendre qui est ce personnage, mais ça c’est un autre domaine. Pourquoi le doublage ? Parce qu’à l’époque on tournait beaucoup en extérieur, pour la télévision. On était obligés de se postsynchroniser en audit car les sons en extérieur n’était pas bons. Dans les années 72-75, un directeur de post-production m’a dit : “Benoît fait du doublage. Tu vois tu arrives à te doubler toi-même, tu as pigé la technique” . Doubler c’est la même chose, le texte passe sur la bande rythmo et il faut être synchrone avec soi-même. J’avais pris en fin de compte un peu de métier et c’est comme ça que j’ai commencé à faire du doublage. Donc je dirais les années 72-75. Et après ça a été des découvertes de dessins animés.
Comment avez-vous été sélectionné pour être la voix de Morgan Freeman ?
J’ai tout simplement reçu un coup de téléphone d’une boîte de production qui m’a dit “Monsieur Allemane, on aimerait vous essayer sur Morgan Freeman” parce que je crois que le comédien qui le doublait habituellement et que je connaissais bien d’ailleurs, était un comédien qui faisait partie des grillos – les grillos étaient des comédiens d’origine Africaine qui sont installés à Paris. Les grillos sont les conteurs dans les villages – et ils avaient décidé peut être de rajeunir un petit peu la voix. Med Hondo [un autre doubleur de Morgan Freeman] est venu un peu plus tard.
Les choix du doubleur se font en fonction des choix de la Major Company. J’ai été mis un peu à l’écart à un moment donné et Med a pris ensuite Morgan Freeman avant que je puisse le récupérer. On faisait un film sur deux. Il en a fait 3 ou 4 et j’en ai fait plus de 45. On est propriétaire de rien dans le métier. Pour en revenir à Morgan Freeman, je fais cet essai en 1992 pour les Évadés [Frank Darabont]. Il y avait un tas de bons comédiens, je me suis dit qu’il n’allaient pas me prendre et puis ils m’ont pris. voilà. Et le premier grand film que j’ai fait de lui c’est donc les Evadés.
Quels liens entretenez-vous avec les autres comédiens de doublage ? (Bernard Gabay, Donald Reignoux…)
On entretient des rapports de confraternité. Dans ce métier et comme la distribution de personnages pour attribuer des voix, ce sont les directeurs artistiques qui nous appellent. Et des fois on se retrouve ensemble avec Donald, avec d’autres… avec Patrick Poivey (Doubleur de Bruce Willis), avec tous les grands du doublage on se retrouve assez souvent et on entretient de bon rapports.
Pour revenir aux Evadés, c’est donc votre première rencontre avec Morgan Freeman mais comment s’est déroulé ce premier doublage et cette première rencontre avec l’acteur ?
J’arrivais en ayant déjà fait beaucoup de doublage avec d’autres personnages. Sur ce film, Morgan Freeman était conteur, il racontait sa propre aventure et il était en même temps acteur. C’était formidable à faire car il y avait le côté distancié de l’homme qui regarde ce qui s’est passé et qui conte son aventure et tout à coup on le retrouve vivant son aventure, c’était un joli exercice de comédien.
Je vais bientôt le retrouver dans une série que je vais doubler sur des personnages extraordinaires qu’il a rencontré dans le monde. A un moment donné il est parti à la recherche de dieu, du dieu des musulmans du dieu des hindous, des incas… J’en fais une autre sur un astrophysicien Américain d’origine Mexicaine (sur National Geographic) qui raconte la découverte du cosmos. C’est une formidable affaire car on apprends des tas de choses.
Avec toutes ces années passées avec Morgan Freeman, est ce qu’un sentiment particulier vous lie ?
Oui, ça fait plus de 20 ans. On voit le personnage évoluer, on connaît sa vie d’homme. C’est quelqu’un de très engagé contre le racisme. Il est d’une grande générosité. C’est l’homme que l’on aimerait avoir comme papa. Il est protecteur, il écoute, il n’est jamais véhément. Il a toujours la réflexion et la générosité. On aurait du travailler ensemble l’an passé mais ça n’a pas pu se faire hélas. Aujourd’hui je crois qu’il est retiré dans son ranch à élever ses abeilles et il ne va plus tourner maintenant car il a plus de 80 ans.
Il a eu une carrière magnifique. Comme toutes les stars, il a aussi eu des films où il a joué “pour la sécurité sociale”. Ce sont des films pas toujours excellents mais lui est toujours impeccable. Jamais on ne le voit dans un rôle ambigu sauf une fois, je ne me souviens plus le titre du film, c’est “Orage” ou “Tonnerre”, où il est un gangster qui va piller une banque pendant que la cité est engloutie par une tornade monstrueuse. Pendant la fin du film, comme il se sent un peu coupable d’avoir dérobé l’argent des autres, il décide d’en partager la moitié avec les gens qui n’ont rien dans la vie.
Vous êtes vous déjà rencontrés en dehors de ce tournage qui n’a pas pu se faire ?
Non, nous ne nous sommes jamais rencontrés. J’aimerai bien mais, vous savez, que dire face à un géant pareil ? Ce serait lui dire : “Bonjour Monsieur je suis votre voix française mais je n’ai pas votre talent”. C’est lui qui fait les millions d’entrées dans les salles, ce n’est pas le comédien français qui double. Il faut avoir aussi de l’humilité quelque part. Je le dis aux comédiens de façon générale mais comme pour moi d’ailleurs. On est là, à leur service. Il faut être dans la sincérité et proche de ce qu’ils font. Donc si je le voyais je ne parlerai pas métier mais je lui dirais simplement “Monsieur bravo, merci, je vous aime”. Qu’est-ce que vous voulez lui dire d’autre ? Je ne vais pas me mettre en avant pour quoi que ce soit. C’est du bonheur d’avoir partagé son parcours pendant des années d’une façon anonyme mais peu importe. On va saluer tous les jours son boulanger quand il nous fait des croissants extraordinaires ? Ce n’est pas vrai. On mange le croissant on le paye et on s’en va, on va rarement lui serrer la main. Un jour je le voyais en studio, sur des images immenses comme si on était dans le Grand Rex [salle de cinéma à Paris] avec un écran de 20 mètres sur 30. Je regardai son visage et je voyais ses petits grains de vieillesse. En moi-même, une petite voix me disait : “et toi ?” On vieillissait ensemble et c’est ça qui est formidable mais j’aimerai pouvoir lui dire simplement que j’ai énormément d’admiration et de bonheur de l’avoir connu et d’être à son service. C’est tout.
Nous aurions dû l’année dernière, Sur la plage d’Omaha Beach, lui en Américain et moi en Français, à 11H du soir avec l’orchestre philharmonique d’Amsterdam, raconter les histoires du débarquement. Et puis ça ne s’est pas fait alors que les tractations étaient très avancées au niveau des agents, des impresarios etc. C’était une déception mais, je dois avouer, j’aurais eu la trouille !
Quel est le film où vous avez pris le plus de plaisir à doubler son personnage ?
C’est les Evadés. Il y en a un autre où il faisait partie d’une bande de prestidigitateurs, ils ont fait deux films à la suite… Il était avec une bande d’escrocs…
Insaisissables ?
Oui, Insaisissables. Là il avait énormément d’humour, il était très drôle. Il était aussi très drôle dans un film où il voulait s’échapper de sa maison de retraite pour commettre un braquage avec ses amis (Braquage à l’ancienne – 2017 ndlr) et c’était très amusant. Dans cette histoire, pour sauver la morale, ils ont donné une partie de l’argent à une maison de retraite. Là encore, il y avait beaucoup d’humour et de finesse mais à chaque fois c’est du plaisir pour moi.
Au niveau du doublage de jeux vidéos, quelles différences vous voyez entre le doublage jeu vidéo et le doublage cinéma ?
Dans les jeux vidéos il n’y a quasiment pas de doublages. On voit un petit peu, de temps en temps, des personnages mais l’articulation de leurs bouches et les ouvertures labiales ne sont pas toujours très nettes, quoique sur certains grands jeux maintenant il y a une qualité de doublage énorme. On travaille dans de tous petits studios. On travaille sur des Mac, on a des textes en dessous et le spectre de la voix anglaise au dessus et on doit être au même rythme, coller à la voix anglaise puisque même des jeux Français sont d’abords enregistrés en Anglais. C’est un problème de vente à l’international, donc c’est pas le même principe que le doublage. Et surtout, dans les jeux, le texte Anglais est beaucoup plus court que le texte Français. Le texte Français est 25% plus long que l’Anglais. On doit couper et prendre des raccourcis dans les adaptations. On ne connaît pas l’histoire, c’est de la technique et de la mécanique. Il y a des enregistrements où il faut faire des soupirs différents et changer les phrases car chaque phrase est une indication de jeu pour le joueur. Ce sont souvent des jeux de guerre. Je viens de finir le doublage d’un jeu où je faisais Homère, le poète. C’est l’histoire de la Guerre de Troie. Je demandais où étaient les autres comédiens et on a répondu qu’il y avait que moi. Le travail perd de son charme et c’est le cas même pour le joueur d’ailleurs.
Pouvez-vous nous parler de l’adaptation théâtrale de la pièce “Dans le fourré” ? [Dans le fourré est une pièce écrite et mise en scène par Benoît Allemane jouée dans plusieurs conventions depuis cette année]
Elle est très simple. On m’a fait découvrir la littérature Japonaise et depuis ce temps là je lis beaucoup d’auteurs Japonais. Je trouve que c’est une littérature magnifique. On découvre le caractère Japonais et le fait que ce sont des gens d’une pudeur extraordinaire et d’une violence tout aussi extraordinaire. C’est difficile de bien les comprendre. Akugatawa, l’auteur de “Dans le fourré”, c’est un auteur décédé dans les années 1920-1930. Il avait écrit tout un tas de nouvelles -la littérature Japonaise est surtout faite de nouvelles il y a des grands romans mais ils font souvent des courtes nouvelles. Je suis tombé un jour sur “Dans le fourré” qui est une enquête sur la personne qui a tué un samouraï. Pourquoi l’idée m’est venue de me servir de cette nouvelle pour entrer dans les conventions geek et japan ? Parce que dans ces conventions, dans lesquelles je suis invité assez souvent puisque j’ai doublé pas mal de personnages de mangas, et puis grâce à Morgan Freeman je suis invité pour parler de ces acteurs, je me suis rendu compte qu’on mangeait Japonais, il y avait les combats, la culture du bonsaï il y avait des déguisements des costumes, ce grand marché… et alors la littérature Japonaise ? J’ai proposé la pièce à la Japan expo de Toulouse, j’ai dit “écoutez, moi je vous propose ça pour la prochaine convention”. Dans le lieu test où on jouait, il y avait un petit amphithéâtre. On m’a dit : “Jouez là”. J’ai ensuite vu arriver des
garçons et filles en cosplays avec leurs grands-pères, leurs grands-mères et puis ils se sont mis à écouter. Et à la fin c’était du délire car je me suis rendu compte qu’ils avaient quitté le virtuel. C’est-à-dire qu’il y avait un mec en chair et en os devant eux, habillé à la Japonaise, qui leur racontait un conte Japonais, une enquête policière Japonaise et je leur demandais la fin : alors qui as tué ? Ils ont chacun donné leur point de vue. Le spectacle dure 45 minutes mais le débat qui suit dure 30 minutes. On arrive pas à savoir véritablement qui as tué. En fait vous avez 6 personnages. ça commence par un bûcheron qui découvre le cadavre d’un samouraï assassiné puis un moine qui dit “ah bah oui je l’ai rencontré la veille…” . Arrive ensuite un chasseur de primes, puis la belle-mère du samouraï… Ils font tous un portrait étonnant du samouraï. Apparaît ensuite le “tueur” qui annonce qu’il la tué pour pouvoir abuser de sa femme puis la jeune femme vient et contredit la version du tueur en disant que c’est elle qui a tué le samouraï etc…Chaque version contredit la précédente. J’ai une étole de couleur qui colle à chaque profession du personnage sur scène. Donc j’emmène les spectateurs dans cette découverte et je prends un malin plaisir à jouer les 6 personnages différents. Chaque séquence dure 7 à 8 minutes avec un intermède musical où je vais changer d’étole pour passer à un autre personnage. Je suis actuellement en pourparlers avec Marseille, Troyes pour l’an prochain. Je vais aussi le faire dans un petit théâtre à Paris, le théâtre de la boussole, peut-être pour la rentrée.
Avez-vous eu une inspiration particulière pour la mise en scène ou êtes vous resté fidèle au texte ?
C’était déjà tellement bien précisé dans le texte qu’il était facile de faire une adaptation théâtrale. La seule idée pour différencier deux femmes était un problème. Je ne pouvais pas travestir ma voix. L’idée était simplement d’utiliser les étoles afin d’aider les spectateurs à suivre le cheminement de l’auteur. Celui-ci, à la fin de la nouvelle, quand il pose la question du meurtrier, il ne le sait pas lui-même. il dit que tout cela se passe dans un lieu peuplé d’esprits malveillants donc on retombe un peu dans la mythologie. Un témoin voit une finalité d’une action et le problème est de savoir comment ça c’est passé. Mais un autre témoin peut avoir vu l’action sous un angle différent et ces deux témoignages vont se confronter et c’est comme ça que l’on bâtit une enquête. et l’auteur s’amuse à la démolir. Chacun à sa vérité, le plus difficile est de savoir qu’à la fin il n’en n’ont pas.
Avez-vous d’autres projets ?
Je suis axé pour l’instant sur ça. Et toutes les affaires sont pour le moment arrêtées (à cause du covid-19 ndlr) cela devrait reprendre pour le mois de septembre en attendant que les équipes de tournages puissent travailler normalement.