Sorti sur nos écrans en 2014, Edge of Tomorrow est un film de Doug Liman (La mémoire dans la peau ; Jumper). Produit pour 175 millions de dollars, le Blockbuster (Film à gros budget, dont la sortie s’accompagne d’une importante campagne publicitaire) a rapporté 370 millions de dollars autour du globe et est donc considéré comme tout juste rentable. Le long-métrage bénéficie de critiques très positives (90% sur l’agrégateur de critiques Rotten Tomatoes ; 6.8/10 sur le réseau Senscritique). Pas mal de monde a couvert d’éloges le film de science-fiction porté par Tom Cruise et Emily Blunt.
Libération évoque notamment que « S’il déçoit dans d’ultimes développements où il renoue avec les mécanismes de résolution les plus académiques du genre, « Edge of Tomorrow » brille dans sa façon de se colorer de teintes élégiaques et cruelles entre deux séduisantes giclées d’action ou de comique répétitif (…). »
Le thème principal du film est celui de la boucle temporelle, déjà adaptée avec brio par le film Source Code (Duncan Jones – 2011), mais reprit à la sauce science-fiction en témoigne le synopsis :
Dans un futur proche, des hordes d’extraterrestres ont livré une bataille acharnée contre la Terre et semblent désormais invincibles: aucune armée au monde n’a réussi à les vaincre. Le commandant William Cage, qui n’a jamais combattu de sa vie, est envoyé, sans la moindre explication, dans ce qui ressemble à une mission-suicide. Il meurt en l’espace de quelques minutes et se retrouve projeté dans une boucle temporelle, condamné à revivre le même combat et à mourir de nouveau indéfiniment…
Nous allons nous attarder sur ce film au travers d’une étude de plans pour montrer que, même au travers d’un Blockbuster à la devanture un peu bourrine et décérébrée, se cache un film de Science-fiction profondément réfléchi et bien à l’affût sur une pléiade de finesse techniques qui servent à merveille le propos raconté (et adapté du roman All your need is kill d’Hiroshi Sakurazaka). Edge of Tomorrow est probablement, pour nous, le film de science-fiction le plus réussi de la décennie.
Certains plans et arrêts sur image ne sont pas de super qualité, mais ils sont essentiels pour illustrer la teneur de certains propos ! Aussi, il est essentiel d’avoir vu le film pour comprendre toutes les allusions présentes dans cette chronique !
La majeure partie du film joue sur l’interaction entre plusieurs couches de plans, c’est-à-dire un procédé de composition du plan où l’image est caractérisée par plusieurs « zones de regard ». Ici, (Plan 1) plusieurs étapes : Le matériel bureautique d’abord, le général et Cage après, puis l’écran stratégique de la guerre contre les mimics (les aliens). Le plan est particulièrement évocateur pour plusieurs raisons. Le plan n’est qu’un plan parmi ceux qui composent cette scène d’introduction, pourtant il y a moins de coupes, parce que le rythme de la narration paraît plus lent et plus posé que les scènes d’invasion sur la plage, que Cage doit revivre sans cesse. Le matériel bureautique au premier plan peut suggérer le poste de Cage avant sa destitution et son envoi au camp d’entraînement. Elle peut montrer aussi son grade élevé, ce qui justifie la raison pour laquelle la carte des opérations militaires directes sur le terrain, sur le champ de bataille, n’est relégué qu’au fond du plan. Les mouvements de caméras sont d’autant plus bien plus stables, se contentant d’uniques travellings légers, comme il n’y a pas d’action ni même de soubresauts narratifs à prévoir.
Le procédé, que Doug Liman expérimente dans ce premier plan, vient de Georges Méliès. C’est lui-même qui expérimente ce procédé de jouer avec différentes couches d’un décor, notamment dans le locataire diabolique (1909) où le décor, qui n’est généralement qu’une peinture mobile, possède un double fond qui peut être utilisé par Méliès et les acteurs pour faire disparaître des objets où même des humains. Méliès était peut-être le précurseur de cette méthode, mais beaucoup d’autres films ont repris le procédé pour enrichir leurs plans afin que ceux-ci soient particulièrement évocateurs de la narration en cours.
Le plan ici est donc symptomatique d’un film qui commence bien. L’image est soignée et le décor correspond tout à fait à la situation initiale du personnage de William Cage (Tom Cruise). C’est un autre plan qui vient directement après qui sera encore plus intéressant à expliquer (2) :
Ce plan, couplé aux techniques de prise de vue, nous montre plusieurs choses. Le personnage de Cage doit partager le plan avec la carte de combat, affichée sur la majeure partie du cadre. Le léger travelling s’approchant lentement de sa personne ainsi que l’expression de son visage fait suite directement aux propos du général : Cage va rejoindre la flotte sur la plage, en première ligne. Ce plan nous fait comprendre que le destin qu’il pensait fuir dû à son statut d’intouchable dans l’armée s’étiole petit à petit, ainsi la réalisation va s’accélérer pour devenir plus nerveuse.
C’est pour cela que dès son arrivée à l’aéroport militaire, les prises de vues vont essentiellement basculer en des captations d’image par une caméra à l’épaule, pour densifier ce côté dantesque de la menace imminente pour les soldats, loin du confort que Cage pouvait avoir au début du film. Les seuls plans qui ne souffriront pas de cuts rapide ou de caméra à l’épaule tremblante seront les plans d’ensemble, qui ne seront plus à échelle humaine (4)
Le plan (3) est particulièrement intéressant puisqu’il fait focus sur le fait que Cage arrive menotté dans la base. Il est menotté parce que les soldats pensent que c’est un déserteur. Le personnage ne rêve d’ailleurs que de s’échapper (il essaiera de le faire avant de monter dans l’avion lors de son premier départ pour la plage). Mais lorsque le personnage prendra du galon au fur et à mesure des événements (et de ses multiples résurrections), ce plan va disparaître progressivement du montage.
Les procédés techniques d’Edge of Tomorrow et les choix d’images effectués par la réalisation démontre bien une chose, que tout est fait, au sein de ce blockbuster, pour garantir une certaine logique avec les événements en place et avec la progression scénaristique des personnages.
Fait notable dans la réalisation, les champ-contre-champ entre le sergent Farrel (qui reçoit Cage à l’aéroport militaire) et ce dernier. Si au début la réalisation prend soin d’effectuer de lents champ-contre-champ pour installer la confrontation permanente entre les deux personnages, à partir de la première résurrection de Cage, Farrel disparaît de cette confrontation puisqu’il ne devient plus nécessaire au développement du personnage principal.
Autre moment où la dynamique de l’interaction « premier plan » et « arrière-plan » devient importante, les scènes sur la plage. Chaque soldat, qui n’est pas important pour la continuité de l’intrigue, est représenté en minuscule. Cage, qui sera un facteur important dans l’équation de la guerre contre les mimics, est toujours au cœur du cadre.
A noter un détail qui a son importance dans la relation entre Cage et Rita Vrataski jouée par Emily Blunt. La réalisation prend le parti initial de renforcer visuellement sa puissance à elle, jouant de dispositif comme l’ombre et le gros plan sur son arme favorite pour montrer sa dimension de guerrière avant tout. Cage apparaît souvent en début de film dans des plans de confrontation avec elle où on la perçoit, via ses yeux, en contre-plongée, signalant qu’il lui est directement inférieur. C’est ce rapport de force qui s’inversera à la fin du film puisque Cage commandera l’opération finale.
Le plan de fin fait écho avec celui du début, on est de retour dans une sphère paisible pour le personnage où la réalisation ralentit, ce qui montre qu’on est de retour, après les péripéties, à l’état initial et que le personnage, qui arborait au début du film un statut dont il n’était pas digne, mérite enfin amplement sa distinction.
Edge of Tomorrow prend, enfin, le soin de diviser sa narration en trois actes bien distincts. Ce procédé est capital pour garantir la compréhension du scénario par le spectateur, et pour faire en sorte que celui ne s’égare pas. La première partie correspond à toute l’exposition de sa première visite à l’aérodrome militaire jusqu’à sa première mort, la seconde correspond à son épopée (et ses multiples cycles de résurrection) pour atteindre le barrage russe où il pense trouver ce qui leur permettra de tout arranger, et la dernière partie se déclenche après qu’ils aient véritablement identifié le bon lieu où ils doivent se rendre. On est particulièrement dans une forme de scénario McGuffin (recherche d’un item B à partir d’un point A) ce qui est traditionnel dans les films d’action. Mais, cette division en actes permet au spectateur de ne pas se sentir perdu ni lésé (au contraire de Xavier Dolan qui a tout mélangé au sein de son long-métrage « Ma vie avec John F Donovan » par exemple).
Ainsi, on s’aperçoit que chaque plan, chaque choix de réalisation, a une connotation particulière, et est relié de façon logique avec les événements retranscrits. Edge of Tomorrow est probablement un exemple dans la façon d’ériger un personnage sur une durée cinématographique et, malgré ses quelques défauts, est un film de SF technique bien plus abouti que bon nombre de ses compères.