Jean-Pierre Dionnet, né le 25 novembre 1947 à Paris, est un producteur, scénariste, journaliste, éditeur de bande dessinée et animateur de télévision français. Il a commencé en tant que libraire et critique avant de fonder sa société d’édition de bande dessinée « Les Humanoïdes associés » en 1974 et confondera le célèbre magazine de Science-fiction : Métal Hurlant. Grand amateur de rock, il collabore en 1980 à la création de l’émission Les Enfants du rock, tandis qu’en cinéphile averti il présente de 1989 à 2007 l’émission Cinéma de quartier sur Canal+. Dans les années 1990, il contribue à la popularisation du cinéma asiatique via sa société de production « Des Films qui ». Il a donc bercé dans la bande dessinée, le cinéma et la musique.
Nous avons rencontré Jean-Pierre Dionnet en Septembre 2018 à Clermont-Ferrand, à l’occasion d’une conférence sur le cinéma suivant la diffusion du film « Cyclone à la Jamaïque » d’Alexander MackEndrick (1965) organisé par l’association Clermont Culture BD 63. Il a pu répondre à nos questions et ses réponses, restent encore d’actualité.
Geeks Lands : Comment vous êtes-vous ouvert au monde du cinéma ?
Jean-Pierre Dionnet : Je suis petit quand la télévision arrive dans les maisons, je suis né en 1947. Mon père est l’un des premiers à avoir obtenu la télévision en noire et blanc. La première fois qu’on l’allume, on tombe sur Zorro ! Environ dix ans plus tard, j’apprends que Marcel L’Herbier créé un cinéclub, et mes parents en sont complices. Je peux ainsi voir plusieurs films et notamment des films d’horreurs comme la charrette fantôme (1940 – Julien Duvivier), la bête aux cinq doigts (Robert Florey – 1946), je vois tous les films d’horreur qu’avait trouvé l’Herbier. Il y a ensuite plusieurs cinémas vers là où je vivais (C’est-à-dire en Creuse). Mais j’ai eu une révélation quand nous sommes allés dans le plus grand cinéma d’Europe de l’époque, le Gaumont Palace et où on a vu Ben-Hur (1959 – William Wyler). Quand je vois ces chars qui traversent l’écran… ça y’est, je suis choppé. Ensuite ça suit son cours et je tombe dedans. Quand je monte à Paris, j’ai de la chance d’habiter sur les grands boulevards. Sur ces grands boulevards il y a tous les cinémas notamment « Midi minuit » … Et j’ai découvert le cinémathèque (où il y avait tous les films plus élitistes) donc au lieu de choisir fromage ou dessert (c.-à-d. Choisir, en comparaison avec aujourd’hui, entre les films d’auteurs et les Blockbusters), je vais aller à la cinémathèque et voir les films Hammer (Boîte de production de films de genre) dans les cinémas de quartiers donc je n’ai pas le problème qu’ont eu beaucoup de gens à cette époque qui devaient choisir entre les grands classiques et les films dit « bis » qui n’avaient pas encore de genre comme le genre a été inventé plus tard.
Jean-Pierre Dionnet nous a aussi fait part de sa réflexion concernant le film de genre à cette époque-là et le fait que ces films étaient assez mésestimés pour l’époque :
Jean-Pierre Dionnet : On ne disait pas de King Kong (1933), par exemple, que c’était un film de genre, on disait simplement que c’était le plus gros film de l’année ! L’année suivante c’était Gold Diggers (1933) puis il y a eu aussi l’Ennemi public n°1 avec James Cagney et on ne disait pas là non plus que c’était un film de genre ! Dans ces années-là, ce sont des films qui ont encore des oscars, les années suivantes, les films de cet acabit n’en auront plus forcément. Ça commence avec John Ford qui dira « Pourquoi je n’ai pas eu d’oscars ? » (Pour l’un de ses western). Et on lui répondra : « Mais vous avez fait des western… » (Ford obtiendra son premier oscar qu’en 1935 pour le Mouchard d’un genre complètement différent). Il aura finalement un oscar d’honneur, qu’il n’ira pas chercher. Ces réalisateurs réaliseront à la fin de leur vie qu’on les a mis de côté. Hitchcock n’aura jamais d’oscar car il fait des policiers. On verra que ces films-là seront laissés de côté pour privilégier les films qui racontent les histoires de drames, de familles désunies… Quand c’est proche de notre réalité et que le message est très clair alors : oui ! Dans les autres films il n’y a pas forcément de message, le mec arrive, il fait son truc. Par exemple, un film d’horreur ou une comédie, par essence, ne peut pas être un grand film puisque la recette est simple. Le film d’horreur doit faire peur, s’il fait peur c’est réussi. Une comédie de Jerry Lewis, si ça fait rire, et ben c’est une comédie. Une comédie ne peut pas être un grand film. Même Capra, il aura un oscar pour son film le plus étrange : « Horizons Perdus » (1937).
Il revient ensuite sur son rapport au cinéma :
Jean-Pierre Dionnet : On avait la chance par rapport à aujourd’hui, c’est qu’il n’y avait pas beaucoup de films. Donc on les voyait tous et on n’en ratait aucun. Les cinémas faisaient aussi beaucoup de séances les jours de pluie. Quand j’étais à Menton, il faisait beau mais à La Trinité et à Karnak, on avait au moins 15 films !
Geeks Lands : Est-ce qu’un autre cinéaste que Marcel l’Herbier vous a ouvert au cinéma ?
Jean-Pierre Dionnet : Marcel L’herbier c’est ma révélation télé et après non mais disons que j’ai connu Jean Boullet qui a fait le festival du film de Biarritz. Jean Boullet va défendre les films Universal et quand je vais le rencontrer il va me dire que les remakes de la Hammer sont plutôt bons. Donc naturellement, à ce moment-là j’ai 14-15 ans, les films de la Hammer je les vois sortir.
Jean-Pierre Dionnet nous a ensuite parlé nous a ensuite parlé de la différence entre les acteurs et réalisateurs qui font des films de genre et ceux qui visent des films plus élitistes.
Jean-Pierre Dionnet : Il y a un réalisateur qui a voulu faire des films d’art et d’essais en se prenant pour Ingmar Bergman et qui n’a pas réussi donc il est passé sur des films d’horreur en décalquant Bergman : c’est Wes Craven. La dernière maison sur la gauche (1972) c’est la source de Bergman mais en un peu exagéré. Craven a fait un film qui n’est pas un film d’horreur et qui n’a pas marché donc il est resté par la suite à l’horreur. Après, la génération suivante, c’est-à-dire Sam Raimi, Guillermo Del Toro… ils faisaient ce qu’ils voulaient, ils voulaient vraiment faire des films d’horreur. Après Alejandro Amenabar, il arrive pour faire des films barrés d’horreur mais avant eux ce sont souvent des mecs qui ont fait ça par défaut. Parce qu’on ne les prenait pas pour autre chose. Sur des films plus ambitieux comme Autant en emporte le vent, où il y a eu 17 scénaristes et, je crois, 8 metteurs en scène parce qu’à chaque fois, tout ne correspondait pas véritablement au résultat souhaité. Ford lui, par exemple, ne faisait qu’une prise, qu’on ne pouvait pas remonter ou changer derrière comme ça on le laissait tranquille. Georges Miller était comme ça aussi, c’est un plan, tac, caméra suivante. Aujourd’hui c’est l’autre cinéma, celui de genre, qui est devenu le cinéma dominant. La grande différence maintenant c’est l’utilisation des ordinateurs et d’internet.
Jean-Pierre Dionnet nous a aussi confié une petite anecdote du temps où il était producteur. En effet, fin 1990, Jean-Pierre Dionnet fonde la société « Des Films qui », avec Studio Canal et la collection « Asian Classics » d’abord, puis avec Pathé avec la collection « Asian Star » ensuite, et a fait connaître, hors Asie, des metteurs en scène comme Takeshi Kitano, Hayao Miyazaki, Johnnie To, Tsui Hark, Kim Ki-duk, Lee Chang-dong ou Takashi Miike.
Il raconte l’arrivée d’un homme censé lui vendre les envies de film d’un de ses collègues, en confiant que l’anecdote est un de ses plus gros regret dans sa carrière de distributeur :
« Voilà j’arrive d’Australie et je suis producteur, disait-il. Vous avez quoi ? Rien. Ça commence bien, et il me dit ensuite : voilà j’ai un copain qui est médecin généraliste à Sydney mais il en a marre, il veut faire du cinéma, il veut faire un film qui s’appellera Métal Hurlant et qui sera dans le style de Métal Hurlant (Magazine de science-fiction de l’époque publié par JP Dionnet). Alors je lui dis : je vous rappellerai. Ce qu’au final je n’ai jamais fait. Mais ce film, finalement, s’est appelé Mad Max (le premier volet de 1979). Et le généraliste était Georges Miller ».
Geeks Lands remercie évidemment Jean-Pierre Dionnet de nous avoir donné de son temps et l’association Clermont Culture BD 63 pour ce superbe moment de cinéma !