Après une seconde saison plutôt faible pour Luke Cage et une Iron Fist totalement catastrophique, les amateurs des séries Marvel/Netflix avaient de quoi redouter la troisième saison des aventures du diable de Hell’s Kitchen. Des craintes qui s’envolent dès les premières minutes pour laisser place un plaisir constant et grandissant au fur et à mesure que s’enchaînent les épisodes. Il est bien il est bel et bien la le véritable tour de force cette nouvelle saison, maintenir une qualité narrative le long des 13 épisodes sans qu’aucun ne paraisse plus faible ou même maladroit. Chaque élément de l’histoire, chaque personnage, possède sa dimension et son utilité dans un récit conçu comme une partie d’échecs.
Charlie Cox est LE Matt Murdock meurtri, amer et désabusé qui retrouve progressivement ses marques dans un Daredevil plus sombre, plus expéditif, et son affaiblissement physique le renforce moralement, un sans-faute. L’immense Vincent D’Onofrio interprète un Caïd tout bonnement monumental, toujours à fleur de peau, à mi-chemin entre fureur et contrôle. L’affrontement des deux ennemis prend alors toute la profondeur et la dimension présente dans les pages du comics. Pour le Tireur (Bullseye), les choses sont légèrement différentes. Un nouvel arrivant dans la série incarné avec juste ce qu’il faut de folie par Wilson Bethel, parvenant à faire oublier l’horrible prestation de Colin Farell dans le Daredevil de 2003. En posant le perso par ses origines le spectateur a bien le temps de constater et évaluer la montée en puissance du vilain. Une installation qui fonctionne à merveille, que l’on connaisse ou non le personnage du Comics.
Même s’il est bon de rappeler que Bullseye est à la 15e place des vilains les plus cool et dangereux de l’univers Marvel, une place largement méritée tant le personnage représente une menace réelle et constante pour les héros qui croisent sa route. Ses compétences de tireur d’élite, doublées d’une certaine inventivité lorsqu’il s’agit d’éliminer ses cibles font de lui une véritable machine à tuer. Stylo Bic, trombone, carte à jouer, voire même ses propres dents, l’homme à la tête de cible n’a de cesse de réinventer le concept d’arme fatale pour donner du fil à retordre à Daredevil. Une rivalité qu’il considère autant comme du travail que du plaisir. Foggy et les nouveaux personnages, tels que l’agent spécial Ray Nadeem ou la sœur Maggie, ne sont pas en reste et sont une véritable valeur ajoutée à un scénario déjà riche. Même l’insupportable Karen Page incarnée à la perfection par Deborah Ann Woll, parvient à captiver l’audience. Si les personnages secondaires sont réussis, les principaux sont tout simplement parfaits.
En prenant l’arc narratif « Born again » des Comics de Frank Miller, les scénaristes prennent ici une base de premier choix pour la suite du récit. L’adaptation à l’univers préétabli lors des précédentes saisons est cohérente tout en prenant des libertés qui maintiennent l’équilibre de l’ensemble. Oscillant entre phases narratives captivantes et sans lourdeurs et des séquences d’action qui, à défaut d’être spectaculaire, sont d’une brutalité viscérale doublée d’un travail technique d’orfèvre. Pour preuve, le plan séquence tout simplement divin de l’épisode quatre, du grand art. Si toute la partie héroïque est visuellement réussie, les séquences de narration pures apportent leur lot de trouvailles visuelles, comme lorsque Fisk retrace le parcours psychiatrique de l’agent Poindexter/Bullseye. Des scènes en noir et blanc sobres, qui nous sortent totalement de la continuité du récit pour projeter Fisk à la même place que le spectateur. 13 épisodes efficaces et percutants jalonnés de références qui auront plus ou moins d’impact en fonction du spectateur. Il est vrai que l’on perd énormément d’informations, quelles soient visuelles ou narratives selon que l’on lise le comics ou non. Trouverez-vous la référence au fils de Wilson et Vanessa ? Un fan service subtilement mêlé au scénario qui fera le bonheur des initiés sans perdre les néophytes. De même que le lien entre Fisk et Murdock n’est pas aussi fort si on à jamais lu la haine réciproque que se vouent les deux hommes dans les Comics.
Si cette saison ne peut pas être parfaite, elle s’en approche énormément et parvient à faire oublier la purge qu’est la seconde saison d’Iron Fist. Ici, pas de hors-champ, pas d’économie de budget ni de scène de dialogues creux et interminables, ne servant qu’à masquer l’absence d’enjeu scénaristique. Daredevil vise juste et frappe fort pour cette troisième saison. Netflix fait de son héros un homme sans peur et sans reproche. La seule frustration notable, mais c’est vraiment pour pinailler un peu, est le sort réservé à Karen Page, que lʼon aurait aimé plus « Comics accurate », qui pour le coup aurait été beaucoup plus couillu que celui de cette saison, tant la prise de risque scénaristique est élevée. Mais, cʼest vraiment le seul élément dommageable, qui nʼest pas un défaut en soi. Pour ce qui est de la suite, il y a fort à craindre que DD ne subisse le même sort que ses confrères Luke Cage et Iron fist qui ont été annulés par la chaîne. Ces annulations pourraient facilement être imputées aux retours médiocres des deux shows. Mais lʼarrivée prochaine dʼune plate-forme de diffusion Disney, similaire à Netflix, doit probablement y être pour quelque chose. Espérons simplement que Mickey ne rajoute pas trop de sucre à sa nouvelle formule et laisse les « Marvel Knights » aussi Dark et Badass quʼils doivent lʼêtre, surtout avec la petite fin entrouverte de cette saison. Le showrunner Erik Oleson garde bon espoir de faire une saison 4, même si aucun renouvellement officiel n’a été annoncé. Une suite qui devrait, selon toute vraisemblance, se concentrer sur Bullseye.