Malgré une sortie discrète en France, l’excellent scénariste et réalisateur Scott Cooper vient de mettre d’accord les mondes cinéphiles et critiques avec son quatrième film : Hostiles, et ce, aussi bien dans notre territoire hexagonal que sur les autres continents.
Après le convenu Strictly Criminal et les magnifiques Crazy Heart et Les brasiers de la colère, Scott Cooper s’attaque au western. Genre très populaire dans les années 60 et 70, le bon western se fait désormais très rare depuis Impitoyable de Clint Eastwood, avec notamment Open Range, le remake de 3h10 pour Yuma et True Grit, remplacé depuis par les adaptations de comics. Pour sa dernière réalisation, Cooper a de nouveau fait appel à Christian Bale après leur magnifique collaboration sur Les brasiers de la colère. Autour de ce dernier, une distribution de qualité indéniable, dont Rosamund Pike (qui nous livre sans doute ici son rôle le plus puissant depuis Gone Girl de David Fincher), l’honorable comédien amérindien Wes Studi, le puissant Ben Foster et la magnifique Q’orianka Kilcher, l’inoubliable interprète de Pocahontas dans Le Nouveau Monde de Terrence Malick (qui retrouve ici Bale et Studi), sans oublier les apparitions de Stephen Lang et de la nouvelle coqueluche d’Hollywood, Timothée Chalamet.
Pour écrire Hostiles, Scott Cooper s’est approprié un manuscrit inachevé de Donald E. Stewart, scénariste à qui l’on doit La prison du viol, A la poursuite d’Octobre Rouge, Missing et Danger Immédiat. Le scénario nous emporte dans une redoutable chevauchée, menée dès le Nouveau-Mexique par Joseph Blocker (Christian Bale), un ancien militaire chargé d’escorté son plus vieil ennemi, Yellow Hawk (Wes Studi), un ancien chef de guerre Cheyenne mourant, ainsi que sa famille, dans la vallée des Ours, situé au Montana. Dans ce périple, il rencontreront une veuve traumatisée par la perte récente de sa famille, violemment assassinée par une tribu Commanche.
La puissance du long-métrage vient des thèmes et du traitement qu’il aborde, montrant sans concession la cruauté et la barbarie venant des hommes, aussi bien chez les visages pâles que chez les peaux rouges, sans oublier de souligner le traitement indigne dont le peuple indien a été victime durant de trop nombreuses années. Hostiles réveille progressivement l’humanité et la prise de conscience de ses protagonistes que tout opposait, en conséquence des actes d’un ennemi commun et d’une « cohabitation » forcée, de manière poignante et sincère.
Bon nombre de réalisateurs auraient offert pour ce film une mise en scène trop académique, ce qui n’est heureusement pas le cas pour Scott Cooper, favorisant une réalisation authentique, ponctuée de moments particulièrement violents. Apprécier la beauté des paysages et des cadrages maitrisés dans ces environnements aussi magnifiques que sauvages est un plaisir réellement bienfaiteur.
Ajoutez à cela une photographie maîtrisée rendant hommage au genre mais aussi à la vision de Cooper, ainsi qu’un puissant concentré de jeux talentueux et un rythme soutenu, et vous obtenez un long-métrage plus que bienvenu parmi la pléiade de reboots, remakes, adaptations et autres suites de sagas aux codes similaires les uns aux autres et remplies d’effets spéciaux qu’Hollywood nous sert au point de nous avoir fait franchir la limite de l’overdose. Il y a bien entendu les films indépendants pour savourer le septième art à sa juste valeur, mais apprécier une réelle épopée sans vfx ni fonds verts, et qui plus est, dans la plus grande tradition des longs-métrages sur le Far-West, est une chose devenue extrêmement rare.
Chaque comédien(ne) apporte sa pierre à l’édifice grâce à son talent et la direction d’acteur de Cooper, dont Rosamund Pike, qui nous livre une prestation d’une grande puissance au point de vous marquer pendant un long moment après le visionnage du film, offrant au passage l’un des meilleurs rôles féminins de cette décennie. Mention également à l’exceptionnel mais trop rare Ben Foster, qui est, dans le milieu, un cousin proche de Bale tant leur implication sans limites et leur intensité propre à la Méthode Stanislavski sont similaires dans chacun de leurs films. Les voir à nouveau réunis après le très bon 3h10 pour Yuma offre une complémentarité de performance devenant un privilège authentique pour le spectateur, bien que trop court. Parmi cette pléiade d’interprétations de qualité, une prestation du long-métrage réussit pourtant à se démarquer des autres, via le monstrueux Christian Bale bien entendu, campant un premier rôle d’exception.
Le comédien, qui est l’un des rares à pousser la Méthode Stanislavski de manière aussi extrême qu’indescriptible, nous offre l’une de ses plus puissantes prestations, renouvelant encore une fois son jeu et son timbre de voix. C’est à se demander comment il parvient sans cesse à proposer des palettes de jeu aussi authentiques qu’inexplorées au fil de sa riche filmographie, à l’inverse de nombreux comédiens qui, bien que brillants, utilisent souvent les mêmes chemins artistiques et les mêmes expressions malgré leurs différents rôles.
Ce n’était pourtant pas faute de nous avoir montré une gamme déjà très variée en se plongeant corps et âme via ses plus incroyables performances, en particulier dans L’empire du soleil, American Psycho, The Machinist (où il avait perdu 28 kilos), Bad Times, Rescue Dawn (où il avait perdu 20 kilos), Fighter (où il avait perdu 13 kilos), Les brasiers de la colère, The Flowers of war et American Bluff (où il avait pris 19 kilos). Encore aujourd’hui donc, même si son talent n’est clairement plus à prouver, il réussit à nous surprendre en nous livrant une authenticité empreinte d’un profond magnétisme via un intense processus de préparation psychologique pour incarner son personnage, tout en ayant pris des cours pendant son processus afin de parler la langue Cheyenne, nous composant ce rôle avec une véritable robustesse pourtant empreinte d’une intense humanité (vous vous souvenez de la fameuse scène poignante du pont face à Zoe Saldana dans Les Brasiers de la Colère ? Sachez qu’il nous offre encore une fois cette même puissance désarmante).
En conclusion, Scott Cooper livre avec Hostiles son plus beau long-métrage, mais aussi l’un des meilleurs westerns, un genre devenu trop rare qu’il maîtrise d’une main de maître. Une fable aussi humaniste que sanglante, servit avec intelligence et beauté grâce à une réalisation authentique. La distribution talentueuse ne fait qu’augmenter la qualité déjà riche d’Hostiles, avec un premier rôle d’exception servit par un Christian Bale à la maitrise toujours aussi démesurée, proposant par la même occasion l’une de ses meilleures performance, épaulé par Rosamund Pike qui, elle, livre probablement le rôle le plus puissant de sa carrière à ce jour. Le meilleur film de ce début d’année, à classer sans hésiter à côté des œuvres de John Ford, Clint Eastwood et Sergio Leone.
9,5/10