Bien que basé sur la célèbre attraction de Disneyland, le film Pirates des Caraïbes a également puisé dans plusieurs légendes nautiques pour construire sa propre mythologie. Cette pratique d’emprunt et de modification du folklore commun est partagée par un certain nombre de franchises très en vue dans divers médias — comme Indiana Jones, Hellboy et Harry Potter — et il n’est pas difficile de concevoir les raisons de cette pratique. Ces mythologies ont une base de fans déjà bien en place et composent une base solide d’histoires adaptables. De plus, puiser dans un scénario préétabli comme une mythologie ne coûte absolument rien à la production puisqu’elles sont du domaine public.
Alors que le manège original de Pirates des Caraïbes est en service depuis la fin des années 60, Disney n’a pas réalisé son potentiel cinématographique avant le début des années 2000. La Malédiction du Black Pearl est sorti en 2003 et a été salué par la critique, faisant de ses acteurs des stars mondiales et propulsant Jack Sparrow (Johnny Depp) au sommet de la culture populaire. C’est en toute logique que des suites ont vu le jour avec : Le Secret du Coffre Maudit, Jusqu’au Bout du Monde, La Fontaine de Jouvence et La Vengeance de Salazar. Si les dernières entrées ont encore rapporté énormément d’argent, la franchise a néanmoins décliné en raison des critiques négatives, des complications entourant l’image publique de Johnny Depp condamné par l’opinion publique et de la fatigue croissante des fans qui ont vu les scénarios faiblir après la trilogie. Actuellement, deux suites de Pirates des Caraïbes sont en préparation chez Disney — dont une dirigée par Margot Robbie — et, bien que du sang neuf soit sans doute nécessaire pour relancer la franchise, ils seraient bien avisés de continuer à emprunter au folklore établi : un élément majeur de la série originale, et une composante de ce qui a fait son succès.
Lorsque l’on parle de folklore, de légendes et de mythes, il est important de comprendre que leur statut s’acquiert avec le temps. Si certaines légendes, comme celles des sirènes et des fantômes, sont purement fictives, les événements du monde réel peuvent devenir des légendes s’ils fascinent les spectateurs d’une manière ou d’une autre, généralement en adaptant des mystères non résolus ou des trésors perdus depuis longtemps, attendant d’être clarifiés ou redécouverts. De telles histoires sont facilement transposables, elles sont donc plus susceptibles de s’ancrer dans la conscience du public. La franchise Pirates des Caraïbes a utilisé deux types de légendes (fictive et pseudo-historique) pour établir sa propre mythologie, créant un monde où le roi George II coexiste avec Davy Jones, et où la Compagnie Commerciale des Indes Orientales est autant une menace que les Sirènes qui vous noient sous les eaux.
1. La Malédiction du Black Pearl : BATEAU Fantôme, Or Aztèque et Pirates SQUELETTES
Will Turner (Orlando Bloom) fait équipe avec le capitaine Jack Sparrow pour sauver son grand amour, Elizabeth Swann (Keira Knightley), d’un équipage de pirates maudits. La malédiction provient du trésor d’Hernán Cortés — un personnage historiquement réel qui est tristement célèbre pour avoir causé la chute de l’Empire Aztèque. Il a ainsi pillé énormément de richesses aztèques, mais la majeure partie a été perdue lorsqu’il a fui le Mexique. Les scénaristes ont ajouté l’élément de malédiction, quiconque sortait l’or de sa malle était damné — se transformant en squelette mort-vivant au clair de lune. Les pirates squelettes sont une thématique déjà bien connue de la littérature fantastique, mais ils se prêtent bien à l’intrigue.
Le trésor est caché sur l’île de la Muerta, une île fantôme que seuls ceux qui savent déjà où elle se trouve peuvent trouver. Si les îles fantômes sont également un élément bien connu du fantastique dans la tradition pirates, la combinaison de cette île et du trésor aztèque suggère l’existence de l’Eldorado — la mythique cité d’or. Curieusement, The Road to El Dorado (2000) de Dreamworks avait déjà utilisé plusieurs des mêmes liens narratifs trois ans auparavant, associant Hernàn Cortés à l’El Dorado.
Parmi les autres lieux de La Malédiction du Black Pearl, on trouve Tortuga et Port-Royal, deux endroits réels qui ont été élevés au rang de légende de la piraterie maritime. Tortuga est une île d’Haïti qui, comme le montre le film, était un refuge pour les pirates au XVIIe siècle. Port-Royal (en Jamaïque) était autrefois la plus grande ville des Caraïbes, aujourd’hui connue comme la cité sous-marine, entièrement détruite par un tremblement de terre en 1692, un élément que la franchise Pirates des Caraïbes n’a cependant pas exploité.
En ce qui concerne les navires, le Black Pearl, bien qu’il ne soit pas basé sur une légende spécifique, est un bateau fantôme assez classique, avec ses voiles noires et son sombre décor. Il rappelle le Cargo Noir — un bateau fantôme bombardant une ville — d’après les paroles de « Pirate Jenny » (The Threepenny Opera de Brecht). Comme Elizabeth Swann, Jenny rêve d’être un pirate, et — dans la chanson — finit par rejoindre un équipage.
2. Le Secret du Coffre Maudit : Davy Jones, le Hollandais Volant et le Kraken
Jack Sparrow a une dette envers Davy Jones (Bill Nighy) et doit récupérer le cœur de Jones, s’il ne veut pas terminer esclave du Hollandais Volant et affronter son « casier » (en VF : l’Antre de Davy Jones). Davy Jones tire son origine de l’expression anglaise « To be sent to Davy Jones’s locker » (littéralement : « être envoyé dans le casier de Davy Jones »). C’est une métaphore pour décrire la mort en mer se traduisant par les naufrages, noyades et rappelant le fond de la mer. Il est souvent dépeint comme une entité démoniaque, mais les cinéastes ont décidé de s’appuyer sur le mythe de Cthulhu tiré de Lovecraft et de lui donner une barbe de poulpe. Ils ont également combiné sa légende avec celle du Hollandais volant — un célèbre bateau fantôme dont l’équipage serait de mèche avec le diable — et du Kraken, un monstre marin du monde scandinave.
Le Secret du Coffre Maudit propose également du vaudou et du cannibalisme. Les tribus cannibales sont bien ancrées dans la culture fantaisiste du pirate, mais existent également dans le monde réel — des tribus indigènes consomment de la chair humaine (des découvertes de 2012 démontrant largement ce fait). La « marque noire » est aussi utilisée, connue comme une légende classique parmi les marins, est en faite originaire de Robert Louis Stevenson dans son livre l’Île au Trésor — écrit longtemps après l’âge d’or de la piraterie. Si un pirate reçoit la marque noire, généralement griffonnée sur une page de la Bible, il est coupable aux yeux du donneur. Dans Pirates des Caraïbes 2, Jack reçoit la marque noire, mais, contrairement au roman de Stevenson, elle apparaît comme une cicatrice purulente sur la paume de sa main et agit comme un repère pour le Kraken de Davy Jones. On pense que la « marque noire » de Stevenson a été inspirée par des pirates traîtres qui se sont vu attribuer un as de pique pour signifier que leur déloyauté était connue.
3. Jusqu’au bout du monde : Calypso et Le Tribunal de la Confrérie
Turner, Swann et le capitaine Barbossa (Geoffrey Rush) doivent sauver Jack de l’antre de Davy Jones, fomenter des alliances avec les Seigneurs des Pirates et faire revivre la déesse Calypso (Naomie Harris) pour empêcher la Compagnie Commerciale des Indes Orientales de prendre le contrôle des mers. Les Seigneurs Ppirates et le Code de la Piraterie sont largement présents dans ce film, tous deux issus d’événements historiquement vrais. Les Seigneurs Pirates sont membres de la Brethren Court, une coalition de pirates inspirée par les Frères de la Côte — un ordre similaire basé à Tortuga et à Port-Royal. Divers codes pirates ont existé au fil des ans, mais s’appliquaient généralement à la navigation des navires individuels plutôt qu’à la pratique de la piraterie en général.
Calypso est l’un des plus grands ajouts mythiques à la franchise Pirates des Caraïbes, bien que les scénaristes se sont permis de belles libertés sur le personnage. Dans le mythe grecque, Calypso est une nymphe. Dans le film, Calypso est la déesse des océans, piégée sous forme humaine (la mystique vaudou, Tia Dalma) jusqu’à ce qu’elle soit libérée. Calypso et Jones sont d’anciens amants (dans la franchise), Calypso ayant confié à Jones la tâche de transporter les âmes, et en contre-partie, qu’ils puissent se réunir à terre une fois tous les dix ans. Il reste fidèle à sa parole, mais, après dix ans, elle ne parvient pas à le retrouver — déclenchant la rage qui anime Davy Jones tout au long des deux films. C’est presque l’opposé du récit de Calypso dans l’Odyssée d’Homère dans lequel elle attire le héros Ulysse sur son île et refuse de se séparer de lui jusqu’à ce qu’elle reçoive l’ordre des Dieux de le laisser partir.
4. La Fontaine de Jouvence : Barbe Noire et les Sirènes
Sparrow et Barbossa sont en quête de la légendaire fontaine de Jouvence, au même titre qu’un certain Barbe Noire (Ian McShane). Barbe Noire est une véritable figure historique, devenue légendaire à sa mort. Les légendes disent que, une fois décapité et jeté par-dessus bord, le corps de Barbe Noire a fait plusieurs tours avant de disparaître dans les flots. On dit aussi que le capitaine tressait des “mèches à canon” dans sa barbe et les allumait avant la bataille pour instiller la peur chez ses ennemis. Curieusement, la franchise Pirates des Caraïbes n’utilise pas ces histoires, préférant faire du pirate un adepte du vaudou plus qu’un cavalier sans tête et en empruntant des éléments clés du roman Pirate Influent de Tim Powers, également intitulé On Stranger Tides. Comme dans la vraie vie, Barbe Noire est le capitaine du Queen Anne’s Revenge (anciennement Concorde).
La fontaine de Jouvence est une fontaine mythique censée redonner à quiconque boit ou se baigne dans ses eaux, son apogée physique et la vie éternelle. Diverses expéditions réelles ont été organisées pour essayer de la trouver, la plus célèbre aurait été dirigée par le conquistador Juan Ponce de León — bien que les historiens doutent de la véracité de ces histoires. Dans le mythe, aucun rituel n’est requis pour bénéficier de la magie que procure la fontaine, mais dans le film, les scénaristes ont ajouté une quête pour compléter l’intrigue, dans laquelle divers objets doivent être rassemblés et une cérémonie organisée. Ces objets comprennent les calices de Carthagène, qui rappelle clairement le Saint Graal d’Indiana, et la larme d’une sirène. Les sirènes représentées sont assez fidèles à l’idée qu’on en a dans les divers mythes et légendes, belles au-dessus de l’eau et monstrueuses sous les profondeurs, attirant les marins vers leur mort — tout comme les sirènes de l’Odyssée d’Homère.
5. La VENGEANCE de Salazar : Le Trident De Poséidon, Les Fantômes Et Le Triangle Du Diable
Jack Sparrow est traqué par son vieil ennemi, le capitaine Salazar (Javier Bardem) — un fantôme, libéré du triangle du diable et résolu à mettre fin à la piraterie pour de bon. Seul le Trident de Poséidon peut garantir à Jack Sparrow la maîtrise des mers et assurer sa survie.
Salazar et son équipage inscrivent une nouvelle variante du pirate mort-vivant à la franchise — un fantôme on ne peut plus traditionnel avec des origines un peu plus typiques. Le Triangle du Diable, mieux connu aujourd’hui sous le nom du Triangle des Bermudes, est une zone de l’océan Atlantique Nord associé à divers naufrages et disparitions. Depuis, on considère cette zone maudite principalement pour l’aviation (évolution oblige), voire, pour certains, toute sorte de théorie extra-terrestre qu’aime nous offrir internet.
Le trident de Poséidon est l’élément central de la Vengeance de Salazar, cinquième opus de la licence Disney, censé donner à celui qui l’exerce le contrôle des océans et de ses nombreuses créatures. Dans la mythologie grecque, le trident appartenait à Poséidon – l’un des douze dieux de l’Olympe et aurait été forgé par les cyclopes. Dans le film, il a la capacité de séparer les mers, en mode Moïse, et on dit qu’il contient le pouvoir de toutes les malédictions maritimes infligées aux personnages de la série Pirates des Caraïbes. Lorsque le Trident est détruit à la fin du film, les malédictions sont levées mettant un terme à toutes les malédictions qui pèsent sur les protagonistes depuis la Malédiction du Black Pearl.